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VU AU BHOUTAN Au royaume du bonheur, le mirage du 100 % bio

Au Bhoutan, l'agriculture de montagne, très majoritaire, côtoie quelques plaines fertiles.

À l’heure où l’Union européenne souhaite augmenter de façon sensible l’agriculture biologique, pourtant en crise, Agrodistribution s’est intéressé à l’organisation de la distribution d’un pays référence en la matière : le Bhoutan.

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En 2012, le Bhoutan, connu pour prôner le bonheur comme art de vivre, s’était fixé l’ambition de devenir en 2020 la première nation au monde 100 % agriculture biologique. Mais à l’heure actuelle, le royaume bouddhiste n’est toujours pas parvenu ni à établir de façon durable un système d’agriculture biologique résilient et productif, ni à atteindre l’autosuffisance alimentaire. L’objectif du 100 % bio a d’ailleurs été reporté à 2035.

95 % de l’agriculture quasi bio

« Bien définir le mot agriculture biologique est indispensable », précise Wang Gheshen, ingénieur formé à l’Isa de Lille et enseignant-chercheur à l’université de Punakha, en responsabilité de la recherche des semences. « Pour nous, les agriculteurs sont considérés comme bio que s’ils n’utilisent aucun produit chimique. C’est pourquoi seules 1 % des surfaces agricoles du pays peuvent revendiquer ce label. Par contre, nous sommes l’un des pays au monde qui se rapproche le plus de ce concept, avec plus de 95 % de nos agriculteurs qui n’utilisent la chimie que dans des proportions très faibles. Elle est souvent très raisonnée en fertilisation et inexistante en protection de cultures. Ceci dit, le 100 % bio semble une utopie », confie-t-il.

« Plus de 95 % des agriculteurs n’utilisent la chimie que dans des proportions très faibles », chiffre Wang Gheshen, enseignant-chercheur à l’université de Punakha. (© C. DEQUIDT)

Les intrants très contrôlés

Tout commence à la semence avec la volonté gouvernementale de développer des semences bio et génétiquement performantes. « Seuls 10 % des agriculteurs achètent des semences certifiées, faute de moyens et d’informations », relate Pordam Lad Gin, directeur adjoint du Centre national de l’agriculture biologique, situé à Yusipang, à quelques encablures de la capitale Thimphou. « Le gouvernement a donc décidé de distribuer gratuitement les semences à certains agriculteurs locaux pour la multiplication. Nous rachetons leur production que nous revendons, de façon très subventionnée, voire mieux, au travers d’un réseau de petits commerçants locaux, certifié par l’administration. » Ainsi, la diffusion du progrès génétique devrait se poursuivre.

Tout en souhaitant le 100 % bio, l’État n’empêche pas la vente de fertilisants chimiques ou de produits phytosanitaires mais souhaite en garder un contrôle strict. Le National Plant Protection Center en est le garant. Il sélectionne des substances actives, comme le mancozèbe, les triazoles ou le diméthoate qu’il achète, essentiellement en Inde, et qu’il diffuse à travers le réseau de ses revendeurs de semences. Am Kisang, l’un d’entre eux, précise : « Nous vendons les produits autorisés par l’État. Mais les acheteurs perdent automatiquement leur accréditation 100 % bio car une copie du bon de commande est envoyée à l’administration. »

Du côté du Centre de l’agriculture bio, la recherche sur le développement de produits phyto à base de plantes ou d’insectes se poursuit. « Chaque année, nous faisons un petit pas en avant, avec de nombreux tests dans le centre et en culture, reprend Pordam Lad Gin. Nous espérons pouvoir un jour proposer des alternatives efficientes en désherbage et traitement insecticide, pour faire de notre pays le premier pays totalement exempt d’intrants chimiques de protection des cultures. »

Farm Corporation Management : un acteur majeur

L’entreprise nationalisée Farm Corporation Management Ltd fait partie du dispositif déployé par l’État. Elle détient des fermes de production, a l’exclusivité de la vente de matériel agricole à haut potentiel, et régule les marchés en équilibrant l’offre et la demande en provenance de ses fermes. En additionnant l’ensemble de ses exploitations agricoles, elle est de loin la première ferme du pays. « Cette entreprise à un volet social important », précise Pema Dechen, directrice de l’une des fermes. « Nous approvisionnons les marchés avec de nombreuses denrées en fonction des manques pour éviter le recours massif à l’importation. C’est ainsi que nous préservons nos marchés locaux et par là même nos paysans. »

Dans les zones de montagnes, l'agriculture reste très artisanale. (© C. DEQUIDT)

Un équilibre précaire

L’exemple bhoutanais montre que dans un cahier des charges strict avec des contrôles des ventes d’intrants, le bio n’a pas beaucoup de sens pour stabiliser une agriculture nationale ouverte à la mondialisation, sauf à laisser faire les choses comme le font la Russie, la Chine ou l’Inde, qui proposent des produits dits bio, sans véritable contrôle. En revanche, le Bhoutan, par sa rigueur et son honnêteté intellectuelle, prouve que l’on peut avoir une agriculture de pointe raisonnée sur 95 % d’une production nationale. Mais attention, l’équilibre est précaire dans un marché ouvert aux importations.

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